Luc Robène et Solveig Serre — Aix-en-Provence, Conservatoire Darius Milhaud

Espaces de la chanson contemporaine

Le réseau de recherche international fondé à AMU en 2015 et intitulé “Chanson. Les ondes du monde” tiendra en 2017 deux colloques jumeaux dans le sud et dans le nord de la France autour du sujet “Espaces de la chanson contemporaine. Cartographie d’un genre en mutation”. Ces colloques sont fondateurs d’une biennale d’étude de la chanson que nous souhaitons pérenniser. Les universités d’Aix-Marseille d’une part et de Lille/Valenciennes/Amiens d’autre part espèrent pouvoir compter pour cette première occurrence de la biennale sur la collaboration de deux musées de rayonnement national, le MUCEM pour AMU (participation acquise), et le Louvre-Lens pour le “pôle Nord” du réseau (négociation en cours). Le colloque AMU a pour autre partenaire le Conservatoire Darius Milhaud. De nombreuses universités partenaires s’associent au projet, en France et en Europe, comme en témoigne le comité scientifique.

Il est toujours délicat de déterminer un palier à partir duquel un genre se transforme en profondeur. D'une part parce qu'en art tout préexiste avant d'exister ; d'autre part parce que certains genres comme la chanson intègrent un nombre de composantes si distinctes (structures linguistiques et poétiques, thématiques sociales de tous ordres, mais aussi et peut-être surtout style musical, phrasé, mode de performance, support d'écoute, structures économiques de l’industrie chansonnière et conditions du vedettariat, etc.) qu'il est peu probable que toutes subissent une variation notable au même moment. Il faudra donc rester sinon modeste du moins prudent, et chercher des faisceaux d'indices, des convergences, sans s’interdire de décrire les disparités et les contradictions, pour répondre à ces questions apparemment si simples et cependant redoutablement légitimes : la chanson contemporaine, c’est quoi exactement ? Ça commence quand et ça se définit comment ?
La chanson, disiez-vous ? Mais laquelle ? La chanson française ? Italienne ? Le rap ? La chanson plus largement inspirée d'un modèle latino-méditerranéen ? (Existe-t-il au singulier, ce modèle ?) La chanson inspirée de styles musicaux anglo-saxons ? La chanson hybride, traduite, adaptée, written en français and English (pour s’en tenir à ces deux langues) ? La World Music ? Comment distinguer la fine pointe de la contemporanéité de cette frange élargie du temps où l’on voit la chanson se détourner de codes ou modèles anciens, classiques, datés, repérables et stigmatisés comme tels, avant d’être parfois redécouverts et aimés comme tels ?

En 1998, déjà Pierre Dumont s'appuyait sur les articles de Louis-Jean Calvet parus dans la revue Le Français dans le monde pour identifier les domaines qui se renouvelaient à partir de 1980 (Le Français par la chanson, L'Harmattan, 1998, p. 22-42). En 2012, dans la revue FiXXion, n° 5, dirigée par Sabine Loucif et Bruno Blanckeman (http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/issue/view/14), deux articles de synthèse dressaient le panorama de la chanson en insistant sur ce (et celles et ceux) qui devrai(en)t compter. Joël July signe “Chanson française contemporaine : état des lieux communs” qui poursuit sa réflexion amorcée dans Esthétique de la chanson française contemporaine (L'Harmattan, 2007) ; Stéphane Hirschi signe quant à lui “Esthétique de la chanson française depuis 1980” que poursuit son ouvrage La Chanson française depuis 1980 - De Goldman à Stromae, entre vinyle et MP3 (« Cantologie 8 », Les Belles Lettres, PUV, 2016). Or les découpages qu’ils proposent et leurs justifications vont dans le même sens : à une modernité qui prendrait corps autour des années 80 (génération “Chorus” pour Stéphane Hirschi) succède une contemporanéité assez protéiforme depuis le XXIe siècle (“génération sans boussole ?” se demande Stéphane Hirschi) malgré certaines marques stylistiques récurrentes comme le jeu et la distanciation (cf. July, Deniot).

On peut cependant et on doit aller encore plus loin : d’une part, parce que si la perspective d’une poétique comparée des chansons contemporaines dans l’aire romane est pertinente, elle impose de ne pas s’en tenir à la branche strictement hexagonale de la chanson ; d’autre part, parce que des critères précis sont indispensables pour mieux appréhender les mouvements variés qui opèrent dans le contemporain de la chanson et lui donnent forme ; ainsi appréhendée, la contemporanéité de la chanson se distinguera du simple aujourd’hui de la chanson, c’est-à-dire de l’ensemble des productions ou événements ou modes éphémères jalonnant l’année en cours. Tel est l’enjeu de ce colloque ambitieux : mettre en œuvre (à nos risques et périls) la cartographie d’un genre en mutation. A la suite d'un colloque organisé à Aix-en-Provence en 2014 (Chanson, du collectif à l'intime, sous la direction de J. July, collection « Chants-Sons », n°1, PUP, sept. 2016), un réseau de chercheurs s’est constitué sous la bannière d’une expression fédératrice : la chanson fait entendre « les ondes du monde », pensons-nous. Non seulement la chanson absorbe les ondes que le monde social lui envoie et contribue en retour à façonner ce monde avec lequel elle interagit, mais encore, elle se diffuse largement, se mondialise : les ondes franchissent et brouillent en partie les frontières nationales, linguistiques, culturelles ; si elles émettent parfois des messages à vocation très identitaire, elles peuvent aussi se révéler très migrantes ; nul ne doute que ce jeu d’oscillation entre territorialisation et déterritorialisation sera l’un des enjeux majeurs du colloque.

Cette première biennale décrira donc les nouveaux espaces de la chanson, un genre en pleine métamorphose.

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septembre 2017

Programme

La chanson est-elle soluble dans le punk?