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Luc Robène et Solveig Serre

Le temps des médias

Entre 1976 (premier festival punk au monde à Mont-de Marsan) et 1978 (dissolution des Sex Pistols), simultanément aux États-Unis, en Australie et dans de nombreux pays d’Europe, une multitude de formations musicales sont brutalement désignées dans la presse comme « punk » (un terme argotique synonyme de voyou) ou s’auto-désignent comme telles. Ces trois années délimitent ainsi une période aussi brève qu’intense au-delà de laquelle le punk, auto-proclamé éphémère (no future), est considéré par une partie de ses acteurs et par la presse comme mort (punk is dead). S’il convient de s’interroger sur la réalité factuelle de cette disparition, il est tout aussi important de s’intéresser aux processus mémoriels qui ont participé dans les décennies suivantes à ériger ce moment précis en « âge d’or du punk ». En effet, au-delà des stratégies commerciales de l’industrie musicale versée dans la publication de compilations, au-delà de la mode qui recycle les lignes et codes vestimentaires du punk, une large part de la nostalgie punk est construite par la puissance médiatique, en particulier par les deux magazines qui dominent l’actualité musicale rock en France, Rock & Folk et Best, et bénéficient de la dynamique engendrée autour de la scène rock en France et de l’explosion punk. Ce point, essentiel, permet de comprendre combien l’essor du punk est consubstantiel d’une acmé éditoriale qui forge rétrospectivement la nostalgie d’un autre âge d’or : celui de la presse musicale, alors au sommet de ses succès en France. Deux régimes mémoriels se superposent ainsi de manière symbiotique. Le punk des origines, que la presse musicale va réinterpréter, mettre en mémoire et réinvestir de manière nostalgique au fil des pages, incarne la période faste de la presse musicale dans l’hexagone. La construction médiatique de l’âge d’or du punk constitue donc, sans s’y réduire, un miroir dans lequel cette presse peut rêver à sa propre jeunesse. Notre travail, basé sur l’analyse d’un corpus constitué de la publication mensuelle de ces deux principaux magazines, entend donc interroger la spécificité et la pluralité des processus médiatiques et mémoriels à l’œuvre dans l’élaboration de ces représentations en sondant les arcanes et le pouvoir d’expression de la puissance médiatique, appréhendée comme « un lieu où travaille la mémoire ». Pour ce faire, nous tâcherons de saisir cette injonction au souvenir, de repérer ensuite ses formes de régularités médiatiques et ses structures, pour enfin interpréter et donner sens au travail de cette matière mémorielle.

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janvier 2017

Le punk est mort, vive le punk! La construction de l’âge d’or dans la presse musicale spécialisée