Au tournant des années 1975-76, des radicalités sonores et rythmiques embrasent subitement le monde occidental. Dans un contexte de crise qui marque la fin des années de croissance d’après-guerre (chocs pétroliers de 1973 et 1979), une multitude de formations musicales essentiellement blanches sont désignées par les médias et par l’industrie musicale, ou s’auto-désignent comme punk. Le terme, issu de l’argot, signifie tout ce qui n’est pas recommandable (vaurien, voyou, pourri, homosexuel, prostituée) ; il appartient à toute cette série de mots en quatre lettres qui définissent les jurons : « Fuck, Shit… Punk » ! Après le dadaïsme, le surréalisme et le situationnisme, le punk s’impose comme la dernière avant-garde du XXe siècle. Il adosse sa partition à la critique mordante de l’establishment et au refus de toute forme d’autorité. Il inscrit son désespoir dans la provocation et définit ses propres perspectives d’avenir dans l’absence d’avenir (No Future). Par sa philosophie du Do It Yourself, il constitue la matrice originelle du rock alternatif. Il incarne enfin un modèle de création en résistance qui se diffuse bien au-delà de l’épicentre occidental blanc depuis le début du XXIe siècle, porté par les luttes pour l’émancipation des jeunesses militantes de tous pays, souvent au risque de leurs libertés et parfois de leurs vies (Chine, Iran, Irak, Indonésie, Madagascar, Mozambique, Kenya, etc).
« Amalgame contre nature » qui mêle « les échos pailletés de David Bowie et du glitterrock, la rage des groupes protopunks d’outre-Atlantique, le son gras du pub rock londonien inspiré par la sous-culture mod, le revival des années 1940 de Canvey Island, la puissance du rythm & blues du Southend, le beat de la soul britannique des années 1960 et les syncopes du reggae » (Hedbige, 1979), le punk se caractérise par sa volonté de faire table rase de l’histoire du rock au moyen d’une musique qui revendique la simplicité, des textes qui se moquent des conventions sociales et politiques, et une attitude énergique et provocatrice. Il renie l’héritage de la pop, clame sa haine de la musique progressive, jugée prétentieuse et assimilée aux musiques savantes. Il exprime son rejet des groupes établis et conspue les majors et le marché du disque, même si ponctuellement il cède par provocation ou paradoxe aux sirènes de l’industrie musicale. Malgré cette posture de rupture radicale, le punk se reconnaît quelques racines vénéneuses : il puise son énergie rageuse dans le Velvet Underground, les Stooges ou les New York Dolls, se nourrit des accents rimbaldiens et verlainiens de Richard Hell et Patti Smith, tout en revendiquant le droit à la crétinerie subversive. Cette cacophonie sonore se double d’une cacophonie visuelle, avec un répertoire vestimentaire tout aussi éclectique que la musique, « reflet déformé de toutes les principales sous-cultures d’après-guerre ». Le punk s’approprie ainsi un héritage complexe et riche qu’il cherche à dépasser dans un refus des codes, des formes académiques de la culture et des modèles établis de la contre-culture (Un bon hippie est un hippie mort).
En France, le milieu des années 1970 porte encore les marques de la révolution de Mai 1968 ; il se caractérise par l’activisme des minorités agissantes, la morosité ambiante liée à la crise économique, la forte haute du chômage et les désillusions du Peace and Love. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, l’explosion punk est marquée à l’été 1976 par le premier festival punk au monde, qui a lieu à Mont-de-Marsan et précède de quelques semaines le rassemblement du 100 Club de Londres. Mont-de-Marsan rassemble des groupes français, anglais, américains, suisses, pour un public (représenté comme délinquant, violent, drogué) venu des quatre coins de l’Europe. Le punk incarne brutalement l’urgence et les promesses subversives d’une musique sans concession. Il devient l’expression première d’un rock hexagonal qui s’affirme localement et s’affranchit des formes d’invisibilité auquel il était astreint : silence médiatique, absence de structures, de concerts, de locaux. Jouer à tout prix, ici et maintenant, chanter dans sa langue maternelle, deviennent possibles, alors même que les médias commencent à s’emparer de ce qu’ils désignent comme « nouveau phénomène social ».
Le mouvement trouve un premier achèvement en 1978, lorsque les groupes emblématiques se sabordent (fin des Sex Pistols en janvier 1978) et qu’une grande partie des scènes occidentales donne le sentiment de se dissoudre dans ses propres contradictions (en particulier la difficulté à gérer le succès) et de disparaître, débordée par le succès de nouveaux courants musicaux comme la new-wave et le disco. Pour autant, la dynamique punk se réinvente, avec l’émergence de nouvelles scènes qui se cristallisent autour de sons musicaux plus durs et de textes plus engagés politiquement (anarcho-punk), l’apparition de nouvelles catégories musicales (hardcore, oi!) et de nouveaux codes vestimentaires (cuir clouté, crête). Dans les années 1980, les révolutions libérale et conservatrice correspondent à la naissance ou à la reconnaissance de groupes très engagés politiquement. En France, l’avènement de la gauche, son cortège de libertés nouvelles, mais également ses renoncements politiques rapides sont contemporains de la montée du Front National. Ce contexte sociopolitique correspond à l’émergence de groupes dont la musique devient le véhicule de messages politiques plus affirmés. De plus, le contexte européen des années de plomb, marqué par la violence politique, les fractures sociales et les violences des rapports sociaux entrent en résonnance avec des manières inédites de vivre et de faire vivre la musique, de lutter et d’exprimer une parole militante. Ces années sont également caractérisées par des problématiques de fractionnements idéologiques et sociopolitiques au sein de la scène punk : l’hybridation des genres amène à questionner la teneur des discours et des luttes qui ont façonné certaines postures extrêmes.
Au-delà des années 1990, dans un contexte mondial caractérisé par la mondialisation, l’émergence d’internet et du village global, par les grandes peurs auxquelles répondent les grandes problématiques de l’Agenda 21, les jeunes générations punk impulsent à la musique et aux formes de résistances un souffle nouveau : thèmes écologiques et militants, émergence de segments plus radicaux. Certes le punk contemporain ne se limite pas à l’émergence de tendances dures. Il compose avec les anciens qui ont reformé leurs groupes. Il compose également avec ceux qui ne se sont jamais arrêtés, avec les hommages de la scène punk à ses morts. Il compose enfin et surtout avec les jeunes pousses et toute une frange de la jeunesse punk pour laquelle la scène alternative et les squats demeurent les repères absolus. Ce tuilage générationnel musical, artistique et socio-politique enrichit le punk et le réinvente constamment.
CASSER LES FORMES D'ILLÉGITIMITÉ DE L'OBJET. Car le punk, considéré avec mépris dans la société est un objet illégitime au plan académique en France. PIND veut donc casser les formes d’illégitimité de l’objet en montrant l’intérêt de valoriser l’étude de ce segment illégitime des musiques populaires entendu comme un prisme pour observer le fonctionnement de la société contemporaine, et en montrant ce qui rend le punk français irréductible à ses homologues anglo-américains.
PRÉSERVER UNE MÉMOIRE EN PÉRIL. Outre son caractère inédit, cette recherche doit être menée vite pour sauvegarder une mémoire fragile en train de s’éteindre pour trois raisons : vulnérabilité des acteurs, confrontés à des styles de vie souvent rudes et des formes d’addiction généralement redoutables ; fragilité et le caractère périssable des supports matériels, consubstantiels à l’idéologie punk prônant la débrouille et le bricolage (Do it yourself) ; absence de conservation institutionnelle de ces archives. PIND a donc pour objectif d’identifier ces archives, de les collecter, de les analyser, et de relever le défi de la préservation de cette mémoire vulnérable au moyen d’un portail.
(RE)PLACER LA MUSIQUE AU CŒUR. La plupart des études consacrées au punk s'intéressent aux côtés militants et revendicatifs du mouvement, oubliant trop souvent que sans bande son le mouvement perdrait tout son sens. PIND a pour objectif de replacer la musique au cœur de l’objet, entendue comme une matérialité sonore particulière produite et utilisée socio culturellement qui caractérise, identifie et définit le style musical punk. Pour ce faire, nous utilisons la notion de scène dans son acception première, comme espace de production de la musique qui relève de mise en réseaux d’acteurs fédérés autour d’un genre musical irréductible aux autres, le punk.
Le punk, entendu comme musique socio-culturellement organisée et dotée de caractéristiques observables, est appréhendé dans PIND à la fois comme production située dans le temps et dans l’espace, inscrite dans des systèmes de représentation et relevant de rapports sociaux spécifiques au sein desquels la violence occupe une place majeure.
COMMENT CETTE CULTURE MUSICALE S'INSCRIT-ELLE DANS LE TEMPS ?
- Comprendre comment une culture musicale s’inscrit dans le temps en analysant les périodisations qui structurent et ordonnent la scène punk en France. Cette réflexion permettra de définir les spécificités stylistiques de la musique punk, qu’elle soit revendiquée en interne, reconstruite, ou du point de vue du métissage de la musique punk avec d’autres styles de musique (et vice versa).
- Identifier les lieux où travaille cette mémoire punk étonnamment dense dans le temps et dans l’espace en mobilisant le prisme des « événements emblématiques ».
- Étudier comment une histoire idéalisée s’élabore, faite de mythes inscrits dans l’imaginaire d’une tradition musicale, artistique ou esthétique, favorisée par des techniques de reproduction et de diffusion Do It Yourself qui permettent la création et la structuration d’une communauté.
COMMENT LE PUNK S'INSCRIT-IL DANS L'ESPACE?
- S’intéresser aux phénomènes de la diffusion de la musique punk sur le territoire, à la constitution des scènes locales et régionales, au maillage du territoire urbain et rural par la musique par les acteurs du punk, les médias ou les lieux de musique.
- Interroger la capacité de cette musique à faire sens hors de Paris et des grandes villes, y compris hors métropole, ainsi que de prendre en compte tant la circulation des acteurs d’un espace à un autre que le sens dans lequel s’exerce ces échanges et les influences.
COMMENT LE PUNK EST-IL REPRÉSENTÉ ET SE REPRÉSENTE-T-IL À LUI-MÊME ?
- Appréhender avec finesse les formes de médiations qui traversent la production musicale de la scène punk et qui participent à structurer son existence dans un équilibre instable ; étudier en retour comment le punk se positionne par rapport à l’establishment et aux formes hégémonique de la culture, en appréhendant les poids respectifs de l’innovation, des formes de résistances ou au contraire d’acceptation de la mode.
- Identifier ces moments de convergence en examinant les correspondances esthétiques entre les œuvres textuelles, picturales, artistiques et visuelles. Cette cohérence structurale devra être examinée au regard des pratiques et modes de création propres à l’objet (notamment invention, détournement, réappropriation).
QUELS RAPPORTS SOCIAUX SE CONSTRUISENT-ILS AU SEIN DE LA SCÈNE PUNK?
- S’intéresser aux places qu’occupent les hommes et les femmes dans l’émergence et la diffusion de la scène punk ; déterminer comment cette scène participe à générer des équilibres spécifiques dans l’ordre du genre, quels modèles de masculinités et de féminités hégémoniques sont valorisés.
- Montrer que cette culture corporelle originale se matérialise dans des gestes, des postures, des manières de jouer d’un instrument, de s’alimenter, de se droguer, de se tatouer, de danser, qui relèvent d’émotions violentes.